Le meilleur est avenir (partie 2)

Publié le par Gwenliliso

La suite de ma nouvelle!

Je rapelle le lien vers le site de notre collectif d'auteurs, car c'est dans ce cadre que paraîtra cette nouvelle qui illustre Treillieres, ma petite ville.

 

le Site 30 communes : link

 

  "- J’ai quitté Maxence.

Ce fut une phrase lancée dans l’air brûlant, rompant le silence cotonneux, qui semblait rebondir sur les parois du lac, les troncs des arbres, revenir vers elles comme un boomerang. Rose ouvrit les yeux brutalement.

- Qui est Maxence ?

Lola baissa la tête, agita les pieds dans l’eau.

- Mon amoureux. Il l’était, du moins.

Elle se tut. Rosa attendit qu’elle continue.

- C’est compliqué, la vie, hein mamie ? Je n’avais pas idée à quel point la vie pouvait être compliquée, dit-elle comme pour s’excuser.

Elle lança une branche dans l’eau, la regarda flotter quelques secondes.

- Il était marié. Il l’est toujours, d’ailleurs.

Comme si elle avait tout dit, elle referma les yeux.

Voilà pourquoi elle est venue, songea Rose, une seconde déçue. Puis elle se reprit, pensa : oui, elle est venue, car elle pensait que moi je pouvais lui apporter du quelque chose, moi seule. Alors elle se sentit fière.

- Raconte-moi.

Il n’y a que ça à faire pour évacuer les chagrins. En parler pour les apprivoiser.

- On s’est rencontrés à la caisse d’un supermarché, commença Lola. C’est bête, hein ? On s’est vu, comme ça, je sortais mes courses du caddie et lui il était derrière, et nos yeux se sont croisés, juste une seconde, mais une seconde de trop. Il m’a touchée, je ne sais pas, je ne peux pas expliquer. J’ai reçu comme un coup au cœur, tu comprends ?

- Très bien, dit Rose dans un sourire.

- Je sentais que je ne pouvais pas partir comme ça, sans connaître son nom, où il habitait. J’ai eu l’impression de le connaître, de le reconnaître en fait. On est sorti de là, un peu perdus, on s’est regardés, et il m’a demandé : vous habitez dans le coin ? J’ai bredouillé, une réponse, oui pas loin, par là, et on s’est souri. J’étais là, tu vois, avec mon sac de courses dans les mains, et je ne pouvais pas détacher mon regard de lui. Tu as déjà vécu ça ?

Rose acquiesça lentement.

- Oui. Une fois.

- Il m’a dit qu’il s’appelait Maxence, qu’il était dentiste. Il m’a demandé mon numéro, comme ça. Et je lui ai donné. Tu vois, c’est là que ça a commencé. Il aurait dû me dire qu’il était marié. Oui, à ce moment-là, il aurait dû me le dire.

Elle secoua la tête.

- Il m’a appelé, le lendemain, tard. On s’est revus à la terrasse d’un café place du Commerce. On savait tous les deux qu’on devait se revoir, le creux au bas du ventre, ça ne trompe pas. C’était bizarre entre nous, on ne parlait pas beaucoup. D’habitude quand deux personnes viennent de se rencontrer, elles ne font que parler, non ? Echangent leurs vies, leurs intérêts, rigolent. Nous, non. Il n’y avait pas besoin, je savais déjà tout de lui. Ce que je voulais savoir, du moins. On restait à se regarder, à être bien ensemble, à touiller notre café en regardant les gens passer. Nos jambes se touchaient sous la table. La semaine d’après, il m’a invitée à le rejoindre dans un hôtel près de Beaulieu, où il était pour un congrès. J’ai dit oui, je trouvais ça amusant, ça changeait de ces rendez-vous du samedi soir. J’ai compris pourquoi après. On a dînés, puis on est montés dans sa chambre, je suppose qu’il l’avait prise pour ça en fait, car qui prend une chambre pour un congrès qui a lieu dans sa propre ville ?

Et là, c’était magique. Nos corps se reconnaissaient, tu vois, se complétaient merveilleusement. Il m’a fait l’amour comme personne n’avait su le faire avant. Toute la nuit. Je te choque ? demanda-t-elle soudain inquiète.

Rose s’amusa. Elle secoua la tête.

- Non, ma chérie, je t’assure que non.

- C’est le lendemain qu’il m’a parlé d’elle. Devant le petit-déj. Et c’était comme une bombe qui m’a explosé à la figure. J’ai pris peur, je me suis énervée, je l’ai traité de salaud.

J’avais l’impression d’avoir été utilisée, trompée. J’ai passé quelques jours à tourner en rond dans mon appart, à ne pas répondre à ses appels. Un soir, il a appelé, tard. J’ai décroché.

Et on s’est revus le lendemain, pendant la pause déjeuner. Il m’a demandé de lui pardonner de m’avoir caché ça, il avait peur de me perdre, il ne savait pas comment me le dire. Il était triste.

Et ça m’a fait craquer. On a continué à se voir en cachette dès qu’il le pouvait. Au début, c’était presque amusant, ces rendez-vous à la sauvette, dans un bar loin de chez lui, ou entre deux patients. Des fois, on se retrouvait carrément dans les toilettes d’un hôtel, on faisait l’amour à la va-vite, on avait besoin de se toucher, de se voir, c’était comme une drogue…

Mais au fil des semaines, j’en ai eu marre d’être comme une ombre de passage dans sa vie, j’avais envie d’aller au restaurant, au cinéma, de me promener à son bras en public. Sa femme, je ne la connaissais pas, je n’avais d’ailleurs même pas envie de l’imaginer, je savais juste son nom. Alexandra. Alex, la reine des glaces, comme il disait. Rien de plus. Ça n’allait plus trop entre eux. Et moi, dans mon petit appart, je tournais en rond, à attendre que monsieur m’appelle, me dise où le retrouver. Ça a fini par me rendre folle. S’il m’aimait, comme il disait, pourquoi ne la quittait-il pas ? J’ai eu l’impression que je n’étais qu’une fille sympa pour lui, un coup en passant, qui le sortait de sa petite routine de dentiste embourgeoisé. Excuse-moi, mamie, dit-elle en relevant soudainement la tête. Excuse-moi de te dire tout ça. Mais je crois que ça me fait du bien.

- Ne t’excuse surtout pas, Lola. Premièrement, j’en ai entendu bien d’autres, ce n’est pas maintenant que tu vas me choquer. Deuxièmement, tu en as besoin, et c’est ça qui compte. Alors, tu l’as quitté ?

- Oui, acquiesça Lola, en reniflant soudain. Il y a trois jours. C’est fini. Je souffre trop.

Rose garda le silence un moment, puis entreprit de s’appuyer sur le tronc pour se relever péniblement. J’en ai trop dit, pensa Lola. Oui, c’est ça, elle est gênée, quelle idée de raconter tout ça à ma grand-mère, le jour de ses quatre-vingt cinq ans en plus, quelle idiote je fais, elle doit me trouver bien bête, oui, elle doit penser comme les autres. Se rend-elle compte que je lui confie ça car je n’ai personne d’autre vers qui me tourner ? Mais comment ai-je pu croire qu’elle pourrait me comprendre ? Elle se leva pour aller l’aider à se relever. Bien sûr qu’elle est fatiguée de m’écouter, et avec cette chaleur en plus. Elle va me demander de la ramener, je le ferai, et ensuite ? J’irai me rallonger dans mon lit, c’est là que je me sens le mieux après tout, dans ma couette protectrice, si chaude, si amicale. Mon refuge, mon abri.

- Je te ramène ? demanda-t-elle.

- Déjà ? demanda Rose. Non, non. Viens manger avec moi à la pizzeria. Je t’invite.

Surprise, contente aussi, Lola hocha la tête. Elle siffla, et le chien apparut derrière un arbre.

- Allez, viens, Max ! On y va ! Allez ! dit-elle en essayant de l’attraper par le collier.

- Tu l’as appelé… Max ? demanda Rose presque incrédule.

Lola rougit.

- Oui… C’est lui qui me l’a offert.

- Alors, on va où ?

- Au bourg. Il y a une pizzeria sur la place.

Lola acquiesça, passa la marche avant qui faisait du bruit ces derniers temps, quitta la forêt pour retrouver la route de Nantes qui menait aux commerces du village.

Max jappait dans le coffre, mécontent de s’être fait enfermer de nouveau.

Après le feu de la Poste de Gesvres, elles passèrent devant un programme de petits HLM en construction. Rose les suivit du regard jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans le rétroviseur. Quand elle était petite, c’était la « Forge à Hubert » qui se trouvait à cet endroit, l’atelier du dernier maréchal-ferrant de Treillières disparu à la fin des années 70. Et à la place du restaurant « La Belle étoile » au Moulin Blanc, presque en face, se trouvait un anciens relais de poste où s’arrêtaient les diligences en transit entre Rennes et Nantes. A chaque fois qu’elle revenait dans le bourg, elle avait l’impression de découvrir quelque chose de nouveau, tant la commune se transformait au fil des ans pour accueillir les nouvelles familles qui cherchaient un coin de banlieue encore préservé, mais pas trop éloigné de la ville.

Lola fit le tour par l’ancienne gare, Rose reconnut aussitôt la ligne de chemin de fer « Beslé- La Chapelle » qui disparaissait sous les broussailles. Elle avait souvent pris cet omnibus avec son frère Jean à la sortie de l’école pour aller voir un de leurs oncles à Blain, jusqu’à ce qu’ils ferment la ligne aux voyageurs en 1939. Elle soupira. Etait-ce le destin de chacun que de devoir ainsi faire le deuil de sa propre jeunesse, de son existence avant de soi-même connaître la fin ? D’avoir l’impression d’être le spectateur de ses propres souvenirs ? Elle eut l’impression que tout ce qui s’était passé dans ces lieux depuis des siècles n’avait plus d’importance, n’avait jamais compté finalement, puisqu’il n’en restait plus rien.

 

Au restaurant, on leur offrit une place en terrasse, ainsi le chien pouvait être à leurs pieds.

Rose commanda deux verres de vin chilien - ce n’est pas tous les jours qu’on fête son anniversaire, se justifia-t-elle. Elles burent en silence.

Lola croit-elle que je suis choquée par ce qu’elle m’a raconté ? se dit Rose. Non, bien sûr que non, je la comprends, mieux que quiconque, mais ça elle ne le sait pas. Non, elle ne se doute de rien, comment le pourrait-elle ? Personne ne sait rien. Il faut pourtant que je lui parle, si je veux qu’elle aille mieux. Mon histoire lui fera peut-être faire les bons choix, si elle la connaît.

Ainsi Rose hésitait sur la conduite à tenir. Ce qu’elle allait révéler à Lola modifierait son futur, pouvait-elle être la cause de cela ? Mais si elle se taisait, elle serait finalement aussi la source de ses décisions.

- Avez-vous choisi, Mesdames ?

Rose leva la tête de sa carte, soulagée de cette interruption. Elle choisit une salade, Lola opta pour une Reine. Elle avait l’air maussade. Triste de sa séparation, triste du silence de sa grand-mère dont Rose voyait bien qu’elle espérait un soutien, une réaction.

Que c’était dur l’amour ! Qui pouvait se vanter de connaître un sentiment puissant et pur, ce genre d’amour qui transforme tout sur son passage et surtout qui est partagé, d’une égale intensité ? Si peu de gens…

- Lola.

La jeune fille la regarda, un peu surprise du ton sec employé.

- Es-tu sûre de ce que tu fais ?

- Que… Qu’est-ce que….

- Je veux dire, est-ce vraiment ce que tu veux, quitter ce Maxence ? N’est-tu pas plus malheureuse sans lui qu’avec lui ?

Lola avait écarquillé les yeux. Elle avait pensé avoir droit à une phrase du genre, mais ma fille qu’est-ce qui t’a pris de te lancer dans une histoire pareille, d’abord ça ne se fait pas, ensuite tu t’es fourrée dans un sacré pétrin, mais voyons à quoi tu pensais ? Décidément, Rose était toujours surprenante. Qu’avait-elle vécu pour réagir ainsi ?

- Je… je ne sais pas, je ne m’attendais pas à cette question…

- Ecoute-moi, Lola. Toute ma vie, j’ai obéi aux règles. J’ai respecté les interdits. Est-ce que ça m’a rendu plus heureuse pour autant ? Je t’assure que non. Si tu es mieux sans lui, bien. Alors tu as bien fait. Sinon, reprends-le.

- Mais… Mamie ! Il dit qu’il m’aime, mais il est encore avec une autre ! Comment pourrais-je le supporter ?

- En as-tu parlé avec lui ? Lui as-tu demandé, clairement, de quitter sa femme ?

- Non… Non, c’est vrai, je n’ai pas osé, j’espérais qu’il en parlerait en premier.

- Peut-être que sa réponse te surprendrait.

Lola baissa la tête. Elle n’avait pas envisagé les choses sous cet angle-là. Et s’il était prêt, lui, à la rejoindre pour de bon, mais qu’il n’avait pas senti, chez elle, ce désir si fort que ça, puisqu’elle n’avait même pas pris la peine de lui en parler ?"

Publié dans Extraits

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D
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