Prodigieuses créatures, Tracy Chevalier

Publié le par Gwenliliso

 chevalier-copie-1.jpgJe viens de terminer ce livre très prenant, le dernier en date de l’auteur, et qui est sorti dans sa version français aux editions Quai Voltaire comme d’habitude, en mai 2010.

Tracy Chevalier, comme vous le savez sûrement, est surtout connue pour son roman «La jeune fille à la perle» sorti en 1999, et depuis adapté au cinéma avec Scarlett Johannsson.

Elle a aussi écrit depuis «Le récital des anges», «La dame à la licorne» ou «L’innoncence». Je les ai tous lus, et je les ai tous aimés, avec certaines réserves pour certains quand même. Ce qui est sûr, c’est que cette auteur est remarquablement douée pour nous transporter à chaque fois dans un univers très différent, une autre époque : l’Angleterre du XIXe, la France du XVe, les Pays-Bas du XVIIe.

Ce que j’ai parfois moins apprécié, c’est ce petit côté dérangeant entre certains personnages, une atmosphère des fois un peu malsaine. J’avais donc une petite appréhension avant de commencer celui-ci, et j’ai été vraiment agréablement surprise par ce nouvel univers : la station balnéaire de Lyme au début du XIXe.

Je connais bien cette époque, en partie pour avoir lu les romans de Jane Austen, d’ailleurs un passage du roman «Persuasion» se passe aussi à Lyme, qui est une petite ville côtière du Sud de l’Angleterre qui ne rivalisait pas avec l’éclat de Brighton ou Bath à l’époque, mais qui attirait quand même du monde pour ses falaises, ses bains, ses salons et son élégante petite cité.

 

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Encore une fois, Tracy Chevalier s’inspire de faits réels, ici l’existence de Mary Anning et Elizabeth Philpot, deux femmes qui ont marqué l’histoire de la ville. La première était une jeune fille de la classe ouvrière qui chassait les fossiles sur la plage pour les vendre, et qui a découvert les premiers fossiles d’animaux marins en Europe comme le plésiosaure, l’ichtyosaure ou le ptérodactyle. Ce sont des noms un peu compliqués, mais on s’y habitue vite dans le livre... Ces animaux existaient à l’époque des dinosaures, même s’ils n’en étaient pas vraiment. L’ichtyosaure ressemble à un dauphin avec une machoire et des yeux énormes, le plésiosaure plutôt à une tortue marine avec un immense cou.

La deuxième, Elizabeth Philpot, est issu d’une classe aisée, elle et ses deux soeurs sont des Londoniennes qui n’ont pas trouvé à se marier, et qui sont donc envoyées à Lyme par leur frère qui n’a plus les moyens de les faire vivre dans la capitale. Elles n’ont qu’une vingtaine d’années, mais elles sont dejà considérées comme des vieilles filles, c’était très cruel à l’époque les femmes avaient une date d’expiration très précoces : si vous n’aviez ni fortune ni beauté, alors vos chances de mariage avec quelqu’un de votre classe sociale s’amenuisaient très vite.

Miss Elizabeth cherche alors un loisir pour occuper son existence, et découvre les fossiles de poissons, qui la fascinent.

Quand elle rencontre la jeune Mary Anning pour la première fois, celle-ci n’est encore qu’une fillette, mais elle a déjà un don pour trouver sur les plages d’étonnants petits fossiles de crustacés, poissons ou coquillages, qu’elle revend aux touristes pour faire vivre sa famille. Au fil des années, elles vont se lier d’amitié, et comme il n’était pas bien vu de se promener seule en ville ou de se rendre à la plage sans chaperon, elles se tiennent mutuellement compagnie dans leurs chasses quotidiennes.

Un jour, Mary va trouver le fossile d’un squelette beaucoup plus grand, plus de cinq mètres de long, qui va se révéler par la suite être un ichtyosaure, cette forme éteinte de dauphin que tout le monde prend comme un crocodile. Cette découverte va changer sa vie.

 

Il faut savoir qu’à l’époque, les croyances religieuses régulaient les existences de chacun, il n’y avait pas de place au doute, ni aux interrogations existentielles. On interprétait littéralement la bible, et l’évêque Ussher venait de décider que la terre avait précisément six mille ans d’existence.

La découverte de squelettes encastrées dans la roche des falaises de la côte va soulever donc beaucoup d’interrogations dérangeantes, et qui pourraient nous faire sourire actuellement : si Dieu a créé les roches le premier jour de la création, et les animaux le sixième, comme il est dit dans la Bible, comment des animaux peuvent être enterrés sous des roches? Comment est-ce possible que des créatures puissent avoir disparues, cela voudrait-il dire que Dieu s’est trompé dans une de ses créations, et a décidé de l’arrêter? Les gens de l’époque, même les plus érudits, ne peuvent imaginer  que des espèces puissent s’être éteindre d’elle même, on pensait jusque là quand on trouvait un fossile que c’était un animal qui vivait encore dans une autre partie du monde qu’on avait pas encore découvert. Cette découverte soulève donc un cheminement qui va amener les savants à envisager une sorte d’évolution à travers les âges pour la première fois.

 

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L’ histoire de «Prodigieuses créatures» nous raconte donc cette période de questionnements et de découvertes scientifiques, à travers l’existence de ces deux femmes, que Tracy Chevalier a doté d’une personnalité bien distincte. En fait, chaque chapitre alterne entre les deux narratrices, et la voix est bien différente, les phrases ne sont pas construites pareil, on voit qu’une est presque analphabète et l’autre issue d’une famille cultivée, dans leurs façons de raisonner ou d’interpréter ce qu’elles trouvent. Mais toutes les deux ont quand même beaucoup de points communs : leurs passions pour ces fossiles millénaires qui les font passer dans leurs familles et dans la ville pour des vieilles filles excentriques, et le fait qu’elles ne trouveront jamais de mari. Il y a une amitié forte entre elles, mais aussi une rivalité latente, une jalousie. Mary envie Elizabeth car elle est une Lady, ce qu’elle ne pourra jamais être, et que ces fossiles ne sont que pour sa collection, qu’elle n’a pas besoin de les vendre comme elles pour subvenir aux besoins de la famille. Elizabeth envie Mary car elle a vingt ans de moins, et qu’elle a un don pour dénicher ces trouvailles.

Les naturalistes, géologues et historiens de l’époque vont se prendre de passion pour ces découvertes, la renommée de Mary va aller jusqu’à Londres, et ensuite jusqu’à Paris, plus tard, avec la vente de ces spécimens, elle pourra enfin acheter une maison pur sa famille et une boutique de fossiles.

 

Donc voilà, j’ai trouvé captivant ce livre très réussi, car on apprend beaucoup de choses sur les fossiles, les animaux qu’ils ont été, les mentalités de cette Angleterre puritaine et frileuse du début XIXe, coincée entre ces conventions sociales et ses préjugés, ses règles très strictes sur le mariage et la bienséance. Et ça donne envie d’aller visiter Lyme et de se prêter au jeu de la chasse au trésor sur les plages de la côte! Il y a désormais un musée Philpot à Lyme, construit à l’endroit où se tenait l’atelier d’ébéniste du père de Mary Anning.

C’est donc un roman féminin très agréable, sans être ni romantique ni bourré de clichés comme souvent, on parle plutôt de la condition féminine de l’époque : Elizabeth brave les interdits quand elle décide de voyager seule en bateau et se voit refuser l’entrée de la Société Géologique de Londres car les femmes ne sont pas admises! Elle assistera finalement à la conférence cachée derrière une tenture dans l’escalier des cuisines!

 

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Publié dans Critiques

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